Revue de presse
“Carte de Séjour est une formation clé des années quatre-vingt. Et cette première biographie du groupe lyonnais par Philippe Hanus souligne cette réalité. Historien et anthropologue, celui-ci passe en revue les débuts de ces fils d’immigrés sur la ZUP de Rillieux-la-Pape, les performances incandescentes du regretté Rachid Taha, ou bien encore le succès populaire via la reprise de « Douce France » de Charles Trenet. Dense, l’ouvrage décrit notamment cette propension à mêler les répertoires orientaux, reggae ou new wave (écoutez donc « This Is A Raï Song » et son intitulé aux faux airs de Public Image Limited). Face à une production hexagonale souvent dans l’ombre du registre anglo-saxon, cette dimension cosmopolite fait le distinguo. Préfiguration des expériences du jour dont les boucles d’Ammar 808 ou les riffs d’Al-Qasar, la courte discographie de Carte de Séjour est épluchée, à commencer par le caustique « Rhorhomanie ». De ce premier Lp se détachent la plage titulaire et ses allures de manifeste, ou bien encore « Ouadou », une transe chaâbi d’après ce répertoire fait par et pour les migrants. Édité par Le Mot Et Le Reste, ce livre offre, en perspective, une plongée lucide dans la France de la fin du XXème siècle, une période marquée par la présidence de François Mitterrand où transparaissent certaines avancées sociales ou un ambitieux ministère de la culture mais également la progression inquiétante de l’extrême droite et une prise de conscience salutaire comme La marche pour l’égalité et contre le racisme.”
“On peut avoir brillamment représenté la banlieue, cet espace invisible, au début des années 1980, porté la voix des descendants d’immigrés, inventé un rock entre électricité et sonorités du Maghreb, bousculé la France conservatrice, inspiré le célébrissime Rock The Casbah de The Clash… et rester cantonné dans la mémoire collective à sa reprise du Douce France de Charles Trenet. En une décennie, Carte de Séjour aura tout connu : les luttes, la gloire, un parcours classique (un groupe grandit, puis implose, car son chanteur, en l’occurrence Rachid Taha, préfère briller en solo) et une destinée unique, du rock qui connaîtra un succès international, avec un chant mêlant argot lyonnais, arabe et emprunts à l’anglais. La mondialisation musicale avant l’heure, racontée notamment via des entretiens avec les membres survivants du groupe par l’anthropologue et historien Philippe Hanus, spécialiste des combats des travailleurs immigrés et de leurs descendants. Une histoire française, cosmopolite et riche et une épopée musicale hors du commun.”
“Chercheur dans le domaine des migrations, anthropologue et historien, mais aussi fan de rock, Philippe Hanus consacre un livre très documenté et passionnant, paru fin août, à l’histoire du groupe lyonnais fondé à Rillieux, Carte de Séjour, qui a marqué les années 80 en mêlant punk rock et influences orientales. Au départ de Carte de Séjour, on trouve les deuxfrères Amini, qui vivent à Rillieux et sont aimantés par le rock, rejoints par Rachid Taha. Comment cela se met-il en place ? « Comme pour la plupart des jeunes Français de cette génération, il y a la variété à la radio. Puis d’un coup, le rock. Avec l’émergence du punk. Il y a une rencontre, à Rillieux, entre les frères Mokhtar et Mohammed Amini (basse et guitare) et Rachid Taha (chant). Une alliance se noue autour de la possibilité d’une expression musicale nourrie de la contestation. Au trio fondateur, se joignent alors Djamel Dif, un batteur expérimenté, puis le guitariste Eric Vacquer. C’est la première matrice du groupe qui va ensuite trouver sa forme définitive avec l’arrivée de Jérôme Savy, à la guitare où, paradoxe, il amène les esthétiques orientalisantes de ce qu’on appellera “arab rock”. » Il y a aussi une langue le « rhorho » qui mixe le français, l’anglais, le langage des banlieues, les expressions lyonnaises et l’arabe dialectal… « Le “rhorho” c’est une manière ironique de se mettre en scène dans une forme de créolisation, de métissage du langage. Des gars des quartiers qui parlent une langue inventée vont incarner l’esprit français. Ils deviennent, au sein de l’Europe des cultures, une certaine idée du métissage français. » Leur émergence est-elle liée à la scène lyonnaise très active de l’époque, Lyon étant même surnommée « capitale du rock français » ? « Ce groupe s’inscrit dans ce terroir extrêmement riche et dynamique des années 75–85. Ils sont issus de ces univers-là, et ils ont bénéficié de cette émergence. Et leur ascension se fait très vite, des premiers concerts en 1980 à la première re connaissance deux ans après. » Le groupe a perduré jusqu‘à quand ? « La dernière date de concert de Carte de Séjour, c’est novembre 1989 à Berne et le dernier grand moment , c’est quand le groupe est présent pour jouer, hasard des calendriers, au moment de la chute
du mur à Berlin. » Moment marquant de leur carrière, le succès de leur reprise du Douce France de Charles Trenet. Une réponse de ces jeunes de banlieue au racisme et au rejet ? « Ça dit qu’il y a ces “Rhorho”, qu’il va falloir intégrer au grand récit de la société française. Dans un contexte où les enfants immigrés dans les années 75–80, sont pris dans un rejet, sont stigmatisés, ils répondent : “Vous allez entendre notre voix et on va vous montrer qu’on n’est pas que des voyous”. Mais ils vont le faire avec ironie, et la chanson Douce France qui dit quelque chose de la France éternelle, ils la reprennent à leur compte en la retournant, dans un rock punk un peu ironique. » Plusieurs membres du groupe sont aujourd’hui décédés. Hormis Rachid Taha qui a poursuivi une belle carrière jusqu’à sa mort, que sont devenus les membres de Carte de séjour ? « Cer tains ont poursuivi l’aventure musicale professionnelle. C’est le cas de Djamel Dif, qui s’est beaucoup intéressé au raï. Jérôme Savy a poursuivi sa carrière dans différentes formations et comme enseignant dans des écoles de musique et au conservatoire. Et d’autres sont retournés travailler en usine, c’est le cas de Mokhtar Amini. »”
“L’écrit, une biographie parue aux éditions « Le Mot et le reste », emprunte pour sa couve la photo de la pochette du premier album du groupe « Rhorhomanie » paru en 1984. Un livre essentiel pour lever quelques lieux communs, des erreurs d’appréciation, des étiquettes farfelues. Il fallait bien ranger ces nouveaux venus dans une case ! Malheureusement, le raï s’offre à l’approximation sans peine. Rock the Casbah, pourtant ! L’auteur de l’ouvrage, Philippe Hanus, docteur en anthropologie historique est coordinateur de l’ethnopôle « Migrations, Frontières, Mémoires » au CPA (Centre du patrimoine arménien-Valence Romans Agglo) et chercheur associé au LARHRA (Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes, spécialisé en histoire et histoire de l’art pour les périodes moderne et contemporaine). Voici en condensé ce qui ressort de « Carte de Séjour, un groupe rock dans la douce France des années 1980 » : « Formé par Mohammed et Mokhtar Amini à Rillieux-la-Pape, dans l’agglomération lyonnaise, rejoints par le chanteur Rachid Taha puis par Jérome Savy et divers autres musiciens, Carte de séjour défend un ‘’rock métissé’’, engagé contre le racisme et pour la justice sociale. Le braconnage de la langue (un arabe de banlieue mâtiné d’anglicismes et de parlers populaires lyonnais baptisé ‘’rhorho’’) et des sons est au cœur de l’aventure de cet ensemble musical mêlant sonorités électriques et instrumentations traditionnelles du Maghreb. Contemporain des luttes des descendants d’immigrés, telles que la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983, Carte de séjour exprime, durant la décennie 1980, une forme originale de création musicale et de résistance aux assignations identitaires. Ce livre retrace, grâce à de nombreux témoignages et archives inédites, l’histoire d’un groupe qui fut aussi l’ambassadeur d’une certaine culture cosmopolite, en Europe et au Maghreb et qui influencera nombre d’artistes de la scène internationale pop-rock et rap. » Parallèlement, Taha ouvre en militant inconsolable « Au Refoulé », un club de nuit dédié à tous ceux qu’on refoule des dancings pour délit de faciès. Dans la foulée sort le single « Zoubida » dénonçant les mariages arrangés chez les musulmans. Deux ans plus tard parait un premier album, « Rhorhomanie » suivi en 1986 de « 2 et ½ ». Cette année, Carte de Séjour plaisent et déconcertent avec la reprise de « Douce France » réalisée dans les années 1940 par Charles Trenet. Le 45 Tours est distribué aux députés de l’assemblée nationale française sollicitant une prise de conscience face à la discrimination et les préjugés : « Il revient à ma mémoire des souvenirs familiers Je revois ma blouse noire lorsque j’étais écolier. Sur le chemin de l’école je chantais à pleine voix Des romances sans paroles, vieilles chansons d’autrefois. Douce France, cher pays de mon enfance, bercée de tendre insouciance, je t’ai gardée dans mon cœur ! » L’aventure Carte de Séjour prend fin en 1989 lors d’un concert donné en Allemagne à l’occasion de la démolition du mur de Berlin. C’est la veille du départ en solo de Rachid Taha.
« Le nom de ce groupe de musique est emblématique du contexte socio-politique dans lequel il a pris naissance en 1980. En réaction aux textes restrictifs sur l’immigration (loi Bonnet et circulaire Stoléru) et aux expulsions des étrangers, se forment des groupes politiques et musicaux (comme le groupe Factory à Givors) qui résistent par la non-violence et la musique (de l’organisation de concerts alternatifs à la production de chansons et de disques). Le groupe Carte de Séjour est une structure musicale originale formée autour de Rachid Taha qui chante, Djamel Dif à la batterie, Mokhtar Amini à la basse, Mohamed Amini, Eric Vacquer/Jérôme Savy à la guitare et Steve aux claviers et à la guitare. Ils ont produit ensemble du rock avec des chansons en français et en arabe. Ce groupe mixte prône la tolérance et soutient les revendications des immigrés pour les papiers, (la ‘’ carte de séjour’’), actions qui ont pris parfois la forme de la grève de la faim (comme en avril 1981 à Lyon). Un premier disque et une première émission de télévision en 1982 font connaître Carte de séjour dans des cercles restreints à Lyon. Le succès de la Marche pour l’Égalité de décembre 1983 – pour laquelle le groupe joue place de la Bastille le soir de l’arrivée à Paris – et parallèlement les premiers succès électoraux du Front National à Dreux sont le contexte politique contrasté dans lequel est produit leur premier album dans les studios de Rennes. » Ce témoignage est signé Michelle Zancarini, historienne française. Elle est professeure émérite d’histoire contemporaine à l’université Claude Bernard-Lyon-I, et ancienne codirectrice de la revue Clio. Elle publie des ouvrages et de nombreux articles dans différentes revues et consacre ses recherches à l’histoire des milieux populaires. Elle est spécialiste d’histoire des femmes et du genre, ainsi que de Mai 68.
L’histoire de Carte de Séjour est truffée d’ébahissements. Paradoxalement, c’est le guitariste Jérôme Savy qui amène les consonances arabes à la musique, c’est compréhensible, personne ne veut faire la musique de ses parents dans la post-adolescence. Jérôme n’a pas de lien avec le Maghreb. La jonction de la musique arabe dans la composition se fait par le rock. Par cet exemple on comprend que toutes les problématiques d’intégration ne sont pas réelles. À l’adolescence, tous les jeunes veulent faire du rock qu’ils viennent d’Asie ou d’Afrique, ils sont attirés par les mêmes musiques. Il n’y a pas besoin de loi pour que les mélanges se fassent. « La musique rock va donc s’enrichir aux sons des percussions de Brahim M’Sahel (mort en 2024) et du Oud de Jalal Jallane. Le groupe installe son local de répétition, place Tolozan, sur les pentes du quartier cosmopolite de la Croix Rousse, où se produisent des rencontres fécondes entre ‘’rhorhos’’ (jeunes immigrés du Maghreb) et ‘’rockers’’ branchés du centre-ville. Carte de séjour y élabore une musique festive et engagée, dénonçant le racisme quotidien, la difficulté d’accès au logement ou les violences faites aux femmes et prônant dans ce contexte identitaire difficile l’intégration et les fondements de la tolérance. » Joli programme pour un groupe des années 1980.”
“Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Carte de séjour, l’incroyable aventure du groupe beur punk funk fondé par Rachid Taha et les frères Amini, Mohamed et Mokhtar, bientôt rejoints par Jérome Savy et Djamel Dif, dans ce « Carte de séjour : un groupe de rock dans la « Douce France » des années 1980 » signé Philippe Hanus, soit la première biographie extensive consacrée à cette formation aussi fascinante que proteïforme, originaire de la banlieue lyonnaise, et au son qui n’avait nul autre son pareil. Près de 400 pages, des dizaines et des dizaines de références à travers publications, articles de presse et documents divers, c’est un travail de Titan réalisé par l’universitaire Phillipe Hanus, qui a mené une véritable enquête pour s’inscrire pas à pas dans l’aventure Carte de séjour sans jamais rien omettre. 1980 à 1990, dix années d’une intensité maximale se déroulent ainsi de la manière la plus informée, y compris mes propres articles de BEST et de Gonzomusic, l’auteur est parvenu à tout retrouver : chaque concert, chaque entretien radiophonique ou télévisuel, chaque récompense décernée, comme le Bus d’Acier Prix du Rock Français en 1987, chaque péripétie de l’épopée Carte de séjour se retrouve ainsi analysé par l’auteur. Et tant pis si cette minutie, cette précision extrême pèse quelque peu sur le style narratif de ce « Carte de séjour : un groupe de rock dans la « Douce France » des années 1980 », on reste scotché par le destin de ce combo rock tant chargé d’espoir qui ne ressemblait à aucun autre. Je suis bien placé pour le savoir, puisque j’ai dû publier dans BEST le second article hexagonal jamais consacré à Carte, avant de documenter intensivement la carrière de Rachid Taha. A la lecture de ce livre, on comprend la double importance cruciale, à la fois musicale par son cocktail inédit de rock, de punk, de funk et de son orientalisme inédit, et aussi politique et sociale par tout l’espoir mais aussi le militantisme éclairé de Carte. Soit à la fois le Clash et James Brown, Elvis Presley et Trenet et l’esprit rebelle de Mai 68, sans oublier le contexte « beur » d’une culture arabe qui osait enfin sortir de l’invisibilité dans laquelle elle se trouvait depuis toujours. L’auteur s’attache également au pouvoir linguistique de cette langue, le « rhoro » qui mélange arabe, français et argot et qui a inspiré le titre du tout premier 33 tours de Carte de séjour, tout comme la personnalité si charismatique de Rachid. Groupe novateur dans tous les sens du terme, groupe-charnière qui annonce la carrière internationale d’un Rachid Taha devenu ambassadeur de cette sono mondiale à la Française qui a su si bien conquérir notre Planète Rock, pour la toute première fois un livre retrace ce parcours hors-normes car tellement chargé d’espoirs, c’est dire toute l’importance de ce « Carte de séjour : un groupe de rock dans la « Douce France » des années 1980 » à lire à tout prix, sept années après la triste disparition de Rachid et six ans après celle de Mohamed Amini.”